Pas besoin de parler. Pas besoin qu'on lui explique en long, en large et en travers ce qu'il allait devoir faire avec la petite. Voir cette Chloé Kennedy se faire la malle avec Prudence sous le bras, le jour du mariage de Beth et Edgar, suffisait à Adrian pour comprendre qu'il s'agissait là d'un stratagème pour tout foutre en l'air. Ou du moins pour retarder la cérémonie et gagner un peu de temps afin de trouver une véritable issue à ce calvaire. Impossible pour lui de ne pas s'interposer et surtout de laisser sa fille (celle qui pensait l'être en tout cas!) avec cette adolescente qu'il connaissait à peine. Aux vues de la fragilité de sa femme, il ne pouvait pas entièrement faire confiance à cette demoiselle d'honneur qu'il avait vu au bras de son cadet avant qu'elle finisse dans les bras de l'aîné. Beth lui avait confié sa fille, peut-être dans un ultime élan de désespoir... Or, il voulait qu'elle trouve encore la force et la rage de sa battre, vraiment. Qu'elle tienne encore debout quelques instants, qu'elle affiche publiquement ce courage de lionne pour obtenir sa liberté et le retrouver, comme avant. Au passage, il épargnait la vie de cette pauvre fille.

Il avait donc filé, espérant tout de même que cette dénommée Chloé expliquerait à Beth ce qu'il avait fait et que sa belle comprendrait qu'il ne l'avait abandonné. Jamais il n'aurait pu faire une telle chose ; surtout après l'avoir retrouvé : aimante et passionnée. Discret, il s'était dépêché afin de s'éloigner le plus possible du lieu du crime. Et il avait réussi à prendre une avance certaine sur l'ennemi. La question qui s'était aussitôt posée à lui fut : où aller ? Il était certain qu'il fallait surprendre, qu'il fallait s'assurer d'avoir un voir deux coups d'avances. Il devait se planquer dans un endroit que personne n'aurait soupçonné pour abriter un bébé. Qui plus est un bébé dans les bras du grand Preston. Dans le taxi, Adrian fit surchauffer ses méninges... Et demanda finalement qu'on l'arrête dans un petit motel sans prétentieux. Limite miteux pour le coup.

Prudence était sage comme une image. Elle n'avait rien dit... Pas un pleur. Rien. Adrian aurait presque pu se poser des questions mais il était bien trop content d'avoir enfin cette petite beauté avec lui. Bien sûr que les circonstances auraient pu être meilleures. Évidemment qu'il aurait préféré avec Beth à ses côtés aussi. Et pourtant il avait l'impression de faire la rencontre de sa fille, de devoir apprivoiser ce petit ange. A peine entrés dans la chambre, il déposa la petite emmitouflée dans son propre manteau sur le lit et farfouilla dans son sac. Il allait forcément y trouver tout ce qui était nécessaire aux soins d'un bébé, non ? Mais il tomba d'abord sur un miroir de poche, griffonné de rouge à lèvre un peu étalé. Il fronça les sourcils et le laissa de côté. Un numéro ? Sûrement pour contacter Beth... Du moins, il l'espérait... Adrian garda Prudence dans ses bras un moment, cherchant à l'apaiser, à la garder aussi calme que possible. Un biberon improvisé plus tard (vive les doses préparées d'avance!), il se retrouvait avec la petite endormie contre son torse, un bras autour de son petit corps, et ce miroir dans sa main libre. Appeler ou ne pas appeler ? Telle était la question ! (a) Il hésita un bon moment, et préféra attendre encore de longues heures...


Quand ce « nouveau » père se décida enfin à céder à la curiosité, il s'empara de son portable et composa le numéro qu'il parvenait à déchiffrer. Les battements de son cœur s'emballèrent un peu avec la tonalité du téléphone, jusqu'à ce qu'une voix féminine ne résonne dans l'appareil. Il cru la reconnaître, sans en être certain, et fut finalement soulagé lorsqu'elle se présenta comme étant Ridley. Répondait-elle à la place de Beth ? Était-il arrivé quelque chose à cette dernière ? « Beth va bien ?! » Il en oublia de se présenter, ne pensant qu'à sa femme. Il voulait comprendre pourquoi le témoin de ce mariage maudit lui répondait.

Adrian n'eut pas besoin de se présenter. C'était comme une évidence qu'il s'agissait de lui, un accord tacite entre son interlocutrice et lui. Inutile de s'annoncer, il était forcément question de cet homme prêt à tout pour récupérer son épouse et sauver sa famille, même si pour cela il devait les porter à bout de bras et affronter mille et un obstacles. Il s'était aussitôt inquiété pour Beth, s'étant sans doute attendu à entendre sa douce voix dans le combiné. Bien qu'il n'avait rien contre Ridley -au contraire, elle veillait sur Beth...- il aurait tout même été soulagé de parler à sa belle. Ça n'allait pas être le cas, il le sentait. L'amie de sa femme le rassura sans plus attendre, affirmant qu'elle allait bien. Puis elle porta son attention sur la petite, en prenant garde de ne jamais la mentionner comme telle. Plus la conversation restait vague, mieux c'était ! Ils nageaient peut-être en pleine paranoïa, mais le doute aussi minime fut-il devait être pris au sérieux. Edgar était un grand malade, et il fallait s'en protéger. Le fuir comme la peste même ! « Tout va bien. Elle nous manque. » -souffla-t-il en faisant référence à la mère de famille. Le temps était long... Bien que les journées en elles-même paraissaient de plus en plus courtes. C'était là le paradoxe de rester terrés loin de tous...  « Il faudra qu'on parle Ridley. Mais pas maintenant. » C'était encore trop risqué. Et il ne comptait pas échanger le moindre mot concret sur sa planque ou ses projets à venir pour retrouver Beth par téléphone.

Ils allaient donc devoir se rencontrer, pour planifier les retrouvailles d'une mère et de sa petite fille adorée. Pour s'assurer que tout irait bien à l'avenir et qu'aucune des femmes de sa vie ne serait en danger, d'une quelconque manière. Bien sûr qu'il demeurait pour l'instant l'homme de l'ombre, à protéger la petite Prudence en la gardant avec lui, en la faisant disparaître aux yeux du monde. Mais il n'en demeurait pas en plein coeur de l'action, souhaitant que tout rentre dans l'ordre. Ou du moins y ressemble. Pour cela il avait encore besoin de la complicité et l'aide de Ridley, qui ne devait peut-être pas se rendre compte de l'importance qu'elle avait prise dans cette histoire.