Retour de la Madone

Elle ne savait même plus depuis combien de temps elle avait quitté cette ville et cette immense maison, là où tout avait commencé. Un jour, une semaine, un mois ou plus, elle avait perdu toute notion du temps. La seule chose qui lui permettait de garder un lien avec le temps qui passe était le petit ventre arrondi qui prenait peu à peu un peu plus de place sous ses vêtements, et dans lequel grandissait l'enfant de l'amour et de la honte.
Elle avait fui cette maison, elle avait pris peur quand elle s'était aperçue que l'enfant qu'elle portait n'était pas celui d'Adrian. Elle avait alors pris conscience de l'horreur de la chose, et de la conséquence de ses actes. Elle s'en voulait énormément d'avoir eu un tel comportement vis à vis de la chair de sa chair, son fils aîné, son fils chéri. Elle n'avait alors trouvé aucune autre solution que partir, loin de lui, pour qu'il se reconstruise seul, sans elle qui avait failli à son rôle de mère.
Mère, elle allait le devenir à nouveau, et comme toute future maman, les hormones jouaient un rôle important dans les décisions qu'elle prenait, souvent sur un excès d'impulsivité. C'est ce qu'il s'était passé ce matin là, quand après avoir bu un thé déthéiné, elle avait pris place au volant de sa voiture et roulé sans vraiment savoir où elle allait attérir. Et c'est inconsciemment dans la maison familiale des Preston qu'elle était arrivée. Maison désormais vide de ceux qui avaient crée cette famille, Adrian étant aux States, et elle ayant abandonné foyer et enfants pour fuir la réalité. Mais de se retrouver face à cette immense demeure lui rappella alors tous les bons souvenirs, et c'est avec une pointe d'appréhension qu'elle finit par entrer chez elle. Elle s'était perdue, elle s'était retrouvée, elle était désormais de retour, à l'image du fils prodigue.
Une fois le pas de la porte passé, un flot d'émotion pénétra Beth, des odeurs, des couleurs, des bruits, des images ... La maison était telle qu'elle l'avait laissé cette nuit d'hiver, où après avoir tout avoué à Cruz, elle avait fait ses valises. Elle avanca de quelques pas, et déjà ses talons résonnèrent sur le sol. Elle se dirigea alors vers la cuisine, pour boire quelque chose, pour se remettre de ses émotions. Le petit être qu'elle portait faisait beaucoup de galipettes à ce moment précis, signe que l'émotion était grande chez Beth. Elle ouvrit le frigo et se servit un grand verre de jus de Pomme-litchi, et s'installa derrière le grand bar qui trônait au centre de la cuisine, le regard dans le vide, ne pensant plus à rien.

Encore une journée de plus. Cruz déposa son sac à dos à l'entrée, sachant que dans quelques secondes, une bonne ou une gouvernante se hâterait de le remettre à sa place. Dans la maison aseptisée il n'y avait pas de place pour le désordre, par contre il en était ordre chose pour sa vie sentimentale. C'était pour cela qu'il avait décidé de se passer de ses sentiments et de multiplier son comportement d'enfant gâté, de chieur, par puissance 10. Désormais il était une copie sans amour de son meilleur ami Warhol. Le bonheur n'existait qu'entre ses jambes et s'exprimaient par éjaculation. Le reste n'avait plus aucune importance. Plus de Beth, de Chloé, de Selena ou d'Ugo... Assoiffé, le jeune Preston se dirigea vers la cuisine pour se servir un jus de fruit qu'il dynamiterait d'une rasade de rhum quand il tomba sur la Madone. Sa réincarnation. Superbe. Presque trop. Sa gorge déjà sèche lui semblait maintenant arride, il ne trouvait plus les mots, les sons. Les angoisses, les remontrances, les insultes, tous se brisaient et finalement Cruz n'arriva qu'à prononcer qu'un nom.

- Beth...

Cruz s'avança sans trop y croire. Il déposa ses mains sur le visage de Beth qui étrangement paraissait réel. Sa douceur, son odeur, tout était là, pourtant il n'y croyait pas. En fait il refusait d'y croire. Elle était trop belle, trop désirable, trop maternelle pour exister et réapparaître comme un oasis, comme un rêve dans sa cuisine. Impatient, il décida de poser ses lèvres sur les siennes juste pour voir si quand il ouvrirait les yeux son cauchemar reprendrait comme avant. Le goût du jus était encore emprisonné sur sa bouche et Cruz se mit à déglutir en ôtant la sienne de ses lèvres.

- Donc ça n'est pas un rêve. Tu es bien là.... Pour combien de temps ? demanda t'il sans chercher à cacher l'amertume qui perçait dans sa voix.

Le moment de rêverie de Beth fut de courte durée quand elle sentit la présence de Cruz dans la cuisine. Elle n'avait pas eu besoin de le voir, quelque chose de particulier se dégageait de lui à chaque fois qu'il était dans la même pièce que Beth, et cette dernière savait alors qu'il était là. ELle ferma les yeux un instant, pour se donner de la force. La force de ne pas craquer, de reprendre son rôle de mère et de tout remettre en ordre. Et pourtant, elle se sentit aussitôt flancher. Elle avait la lèvre inférieure qui tremblait légèrement, dévorée par la passion. Quand elle entendit son fils l'appeler par son prénom, c'était comme s'i llui balançait la vérité en pleine face, qu'il ne la considérait sans doute plus comme sa mère. De toute façon, elle ne l'était plus vraiment, elle était la mère de leur futur enfant, et cette idée la terrifiait. Elle manqua de sursauter quand ce dernier déposa ses lèvres sur les siennes. Comme c'était bon. Elle se laissa aller, se nourrissant du goût de ses fines lèvres et douces. Non, ce n'était pas un rêve, mais plutôt un cauchemar aux yeux de Beth. Elle était enceinte de Cruz, elle avait franchi la barrière de l'inacceptable, et pourtant, elle était toujours éperduement amoureux de lui. Elle se forca à détourner le regard, comme pour s'empêcher de l'aimer, se disant que moins elle poserait son regard dans le sien, et plus elle réussira à mettre de la distance entre eux, même si elle n'y croyait pas elle-même, le simple fait d'être partie à plusieurs centaines de kilomètres ne l'avait pas empêché de nourrir cet amour interdit.
Tentant de cacher son émotion dans la voix, elle répondit de façon détachée, du moins du mieux qu'elle le pouvait, comme si elle était partie la veille :

- Oui, je suis rentrée ... pour m'occuper de mes fils.

Beth avala bruyamment sa salive, se maudissant des paroles qu'elle était en train de prononcer alors qu'elle ne rêvait qu'à une chose : retrouver Cruz.

- Tout va bien au lycée ?

Elle n'avait rien trouvé de mieux, elle cherchait par tous les moyens d'éviter LE sujet, même si son ventre rebondi ne laissait plus aucun doute et allait bien amener un jour ou l'autre à aborder ce putain de sujet.

Cruz eut la sensation que l'espace d'un instant, le temps s'était figé et qu'ils étaient revenus en arrière. A l'époque où leur amour était si beau et si fort qu'il cherchait à s'exprimer de toutes les façons qui soient. Mais qu'il décolla ses lèvres, tout était comme avant. Son coeur souffrait toujours autant et c'était principalement à cause d'elle. Elle l'avait brisé et maintenant qu'il avait remonté la pente elle revenait, sans doute pour achever son oeuvre. En voyant sa mine impassible, son ventre rond, il fut assailli par une envie subite de la tuer. C'était le seul moyen de tout effacer. Les phrases qu'elle prononcèrent n'arrangèrent en rien l'envie de meurtre de l'adolescent qui serra ses poings si forts qui lui firent mal avant d'enfoncer ses ongles dans le bar. Quand il les retira il vit qu'il saignait mais la fulgurance de la douleur l'aida à garder les idées plus ou moins claires. Il allait lui tourner le dos sans répondre à sa question qui le tuait et pourtant d'une banalité infligeante. Elle venait voir ses fils ? Beth lui faisait réellement l'affront de le considérer encore ainsi après tout ce qu'ils avaient vécu ensembles.

- Oh lesquels ? Celui que tu as abandonné et celui qui as préféré se tirer ? Le lycée... Il eut un petit rire. Le lycée ça va bien et ça n'est pas grâce à toi Maman.

Cruz lui donnait le dos et s'arrachait l'intérieur de la paume pour se maintenir droit et solide. Ses vaiseaux sanguins menaçaient d'exploser à cause de l'effort qui leur imposait pour les maintenir écarquiller. Ne pas pleurer. Ne surtout pas pleurer devant elle, la pute, la salope, la mère qui le blessait mortellement après lui avoir donné la vie.

Beth sentait les larmes monter, elles étaient là, elle était au bord des larmes, et sentait déjà leur goût salé, mais elle ne voulait pas se montrer faible devant Cruz. Elle ne voulait pas compliquer les choses, même s'il était évident que tout était déjà trop compliqué entre eux. Alors elle repoussa son immense envie de le serrer contre sa poitrine, et de l'entendre lui murmurrer dans le creux de son oreille qu'il l'aimait, qu'il n'aimait qu'elle, qu'il allait la protéger, les protéger, elle et le bébé, et que tout irait bien. Elle savait pertinemment qu'une telle chose était impossible, elle ne pouvait pas attendre cela de Cruz, elle ne pouvait pas le lui demander. Elle se disait donc que la meilleure des solutions serait peut-être de tenter de faire comme si de rien n'était, ou plutôt comme si rien n'avait été, de reprendre son rôle et sa place de mère, de semer la terreur dans son immense villa et dans son cabinet. Cruz était jeune, il se remettrait sûrement de cette histoire, quant à elle, elle n'avait droit qu'à ce qu'elle méritait, et si elle devait souffrir toute sa vie à cause de ça, elle était prête à le faire, par amour pour Cruz et leur enfant.
Leur enfant ... justement, au moment même où elle pensait à ce bébé, elle le sentit bouger, il venait de se lover contre sa main qui était posée machinalement sur son ventre. Face à la cruauté de Cruz qui lui déchira le coeur, Beth se leva d'un bond, comme surprise d'avoir sentit son enfant bouger en elle. Et contre toute attente, regardant Cruz avec les yeux d'une jeune femme amoureuse portant le fruit d'un amour, certes interdit, mais un bel amour, elle lui dit :

- C'est une fille ... le bébé.

Puis dans un murmurre, presque à demi-mot, elle ajouta :

- ... ton bébé ...

Cruz ne pouvait pas supporter ce regard humide sur lui, il lui faisait horreur parce qu'il réveillait cet amour qu'il essayait de repousser de toutes ses forces. Il ne comprenait pas son changement d'attitude. Et la phrase qu'elle prononça eut le même fait qu'un coup de massue derrière sa tête. Une fille. Une petite fille. Sa petite fille, elle disait. Il ne la croyait pas. Il secoua la tête, incrédule presque terrassé par cette nouvelle. Son ventre rond c'était le fruit de leur amour... Du moins de cette utopie qui avait embrassé ses sens au point qu'il avait cru qu'il serait possible d'aimer sa mère au grand jour. Il ferma les yeux pour cesser de croiser ce regard qui semblait le supplier de l'embrasser alors que sa bouche avait prononcé quelques secondes avant des mots terribles. Ses mains étaient moites, sa nuque le démangeait et il ne savait pas quoi faire pour appaiser cette douleur qui cognait dans sa poitrine.

- Si tu savais ce que j'en ai à foutre.

Il n'avait même pas envie de croire que cet enfant puisse être le sien. Quand Beth avait disparu, elle s'était éloigné de lui et il presque cru que leur histoire n'avait été qu'un rêve. Maintenant elle était là, il comprenait que tout été vrai et qu'elle l'avait bien abandonné. Il la haïssait.

A ce moment précis, Beth maudissait tout ce qui l'entourait, y comprit son fils. Elle ne pouvait pas lui reprocher d'être du même acabit qu'elle, après tout, les chiens ne font pas des chats, mais quelques fois, elle aurait préféré qu'il ait le tempérament molasson de son père, et surtout, qu'il n'ose pas lui tenir tête. Mais jamais elle n'avait réussi à refuser quoi que ce soit à Cruz, ce qui avait fait de lui un enfant pourri gâté et capricieux, et maintenant, l'homme qu'il était en train de devenir n'était qu'une pâle copie d'elle-même, elle se revoyait exactement en lui au même âge. C'était d'ailleurs au même âge qu'elle avait tenu tête à ses parents pour épouser celui qu'elle croyait être l'homme de sa vie et qui lui donnerait 2 enfants. Si seulement, cette fois encore, elle pouvait tenir tête, au monde entier cette fois, pour pouvoir vivre son grand amour avec Cruz ... Mais ce dernier ne semblait déjà plus sur la même longueur d'ondes, et Beth se dit que c'était peut-être la meilleure chose pour lui, même si à elle, ça lui déchirait le coeur. Il venait de renier l'enfant qu'elle portait de lui, et ça, elle ne pouvait pas le supporter. Et pourtant, pour la première fois de sa vie, elle se montra faible face à un homme, et préféra s'effacer plutôt que d'affronter Cruz. Après tout, elle n'était désormais plus seule, elle portait sa fille, et ça, rien n'y personne ne pourrait y changer grand chose. Avalant bruyamment sa salive à cause d'une énorme boule qui restait coincée en travers sa gorge, Beth se dirigea vers la porte de la cuisine, détournant le regard pour ne plus voir le regard rempli de reproches et de haine que lui adressait celui qui, il y a peu, la dévorait des yeux. Puis, juste avant de s'aprêter à quitter la pièce, elle se retourna et lui dit :

- Je vois ... Je serai dans not... dans ma chambre, si tu as besoin de quelque chose.

Et voilà, Beth tentait de reprendre sa place dans cette maison qui lui était désormais hostile, même si elle gardait au fond d'elle un espoir, même tout petit ... cet espoir c'était sa fille.

Cruz la laissait partir sans rien dire. Du revers de la main il balaya l'ensemble des objets qui se trouvaient. Il avait presque la bave aux lèvres, furieux contre lui, contre elle et contre les autres. Les poings serrés et blessées il se laissa glisser contre le mur. Il referma ses jambes et fondit en larmes. Il se mordit les lèvres jusqu'au sang pour essayer de contenir les lignes salées qui serpentaient sur son visage, sans y parvenir. Après quelques secondes, il décida de cesser de combattre. L'image du ventre arrondi de Beth l'obsédait. Il allait être père. Non pas question. Cet enfant n'était pas le sien. C'était impossible. Non il refusait d'y croire même si les preuves étaient là, juste là sous son nez. Sa fille. Non pas possible. Il essuya son nez et ses joues avec le plat de sa main et renifla. Ses cheveux lisses étaient emmêlés et sa chemise froissée. Il n'avait plus rien du bon petit Preston que sa mère s'était évertuée à faire. Il était un homme amoureux, blessé par le retour de la mère prodigue. Cruz se releva enfin et passa de l'eau froide sur son visage. Maintenant qu'il y voyait plus clair et que la colère s'était estompée il pouvait parler. Après avoir monté les escaliers d'un pas décidé, il poussa la porte de sa mère et la retrouva assise sur son lit. Cruz baissa les yeux et sentit le goût du sang sur sa lèvre inférieure qu'il avait mordu quelques instants plus tôt.

- Je voulais juste savoir... si tu avais l'intention de rester ici... Parce que si tu restes... Moi je pars.

Sa décision était prise. Sentir son corps se retourner dans son lit à l'autre bout du couloir serait insupportable. Non il préférait mettre fin à toutes ses souffrances, en prenant son propre appartement ou en séjournant quelques jours chez son oncle Edgar qui lui avait toujours proposé son hospitalité.

Beth était en colère après la terre entière, et regrettait déjà son retour à Degrassi. Elle était en train de se dire que tout ceci était une mauvaise idée, qu'elle avait meilleur temps de retourner d'où elle venait, de reconstruire sa vie avec sa fille qui était l'enfant de l'amour mais aussi celui de la honte, de l'élever loin des mauvaises langues, et loin de ce père qui ne semblait pas vouloir d'elle. Alors qu'elle était assise sur son lit et qu'elle songeait à reprendre la route dans le sens inverse, elle fut surprise du retour de Cruz. Elle sursauta à moitié, et l'écouta lui demander ce qu'elle comptait faire. Elle qui avait cru l'espace d'un instant qu'il revenait vers elle, pour la serrer dans ses bras et l'embrasser fugueusement, son enthousiasme se brisa net. Et contre toute attente, elle décida de rester, finalement. C'était à nouveau la colère qui la maintenait debout, et elle n'avait plus envie de fuir, surtout pas devant Cruz. Alors, prenant un ton sec et autoritaire, elle répondit :

- Jusqu'à preuve du contraire cette maison m'appartient, je l'ai payé jusqu'au dernier centime, donc oui, je reste.

Regrettant aussi ses paroles, Beth qui n'avait qu'une peur, voir Cruz lui échapper, se coupa elle-même et changea aussitôt de ton, suppliant presque son fils de rester sous son toit :

- Mais ne pars pas, s'il te plait ... je veux que tu restes ... j'ai ... j'ai besoin de toi.

Elle savait qu'elle allait encore se faire humilier par une réponse de la part de Cruz, mais elle ne pouvait pas lutter, elle s'était à nouveau mise à nue devant lui et espérait que cette fois, il répondrait à sa demande. Se mordant la lèvre inférieure, craignant une quelconque réaction de la part de son fils, elle commenca à avoir le tournis ...

Cruz admira comme le petit garçon qu'il avait jadis été, les vestiges de l'impératrice Beth qui restait encore dans sa voix froide quand elle avait parlé de sa maison. Il sentait qu'elle était à deux doigts de craquer et ça lui faisait plaisir de la voir se lézarder à cause de lui. Non il n'allait pas rester. Non il lui ferait pas ce plaisir.

- Mais moi aussi j'avais besoin de toi !

Cruz avait hurlé. Il n'avait pas se retenir d'exposer. De lui cracher au visage, la violence qu'il contenait depuis trop longtemps. Il n'avait jamais ressenti une pareille douleur avant. C'était comme si on lui avait arraché le coeur, décollé la peau et que maintenant elle essayait de faire passer sa peine avec des promesses et des mensonges. La douleur physique et morale était trop forte pour qu'elle s'en sorte si facilement. Cruz manqua de la prendre les cheveux pour la trainer sur le sol. Au lieu de ça il agripa son poignet et l'entraina contre son torse. Il força avec sa langue le passage de ses lèvres et pressa contre elle son érection naissante.

- Je te déteste... cracha t'il en arrachant son chemisier et en cassant son collier de perles.

Il la fit retomber sur le dos et sur le lit avant de s'allonger sur elle. En la détestant c'était lui qu'il détestait aussi. Après tout il était une part d'elle. Quand elle l'avait quitté, il avait perdu son oxygène. Son retour était trop brutal il ne s'était pas préparé au choc de la revoir pour ne pas être déçu si il ne la revoyait pas. Cruz voulait lui faire mal, se faire mal pour oublier son autre souffrance. Il avait envie de la violer, de la salir mais il n'y parvenait pas. Il se crispa alors en se tenant à ses mains et resta prostré contre elle proche de l'évanouissement et de la rage destructrice.

- Pourquoi tu es partie ? Pourquoi ?

Beth se sentait de plus en plus mal. Elle sentait le bébé appuyer sur sa vessie, et les dernières émotions assez fortes qu'elle venait d'avoir lui avaient donné le tournis. A tel point que dans un premier temps, les paroles de Cruz lui semblèrent venir de très loin, comme un écho ... Lui aussi avait eu besoin d'elle, elle le savait et l'avait toujours su, depuis tout petit il avait toujours été très demandeur. Mais la situation dans laquelle ils s'étaient mis tous les 2 avaient quelque peu inversé les rôles, et désormais, c'était Beth et cette petite fille qu'elle portait qui allaient avoir besoin de Cruz, mais Beth doutait que ce dernier soit prêt à assumer une telle vie.
Alors qu'elle commençait à avoir la tête qui tournait de moins en moins, elle fut surprise de la violence de Cruz qui l'embrassa violemment avant lui lui arracher les perles qu'elle avait autour du cou et la pousser sur le lit. Avait-il conscience qu'elle était enceinte jusqu'aux dents et que c'était son enfant qu'elle portait? Elle aurait pu hurler, crier au viol si elle avait voulu, mais elle ne fit rien, comme si elle trouvait normal que l'homme qu'elle aimait la violente, parce qu'elle l'avait mérité. Mais aussi parce qu'elle connaissait Cruz mieux que quiconque, puisqu'elle était sa mère, et qu'elle se savait en sécurité avec lui, et que jamais il ne lui fera de mal, surtout pas physiquement. Au bord des larmes, elle s'apaisa quand Cruz s'arrêta juste à temps, quand il se tenait agrippé à elle. La force de son fils au dessus d'elle lui faisait mal, mais elle tenta de résister à la douleur, juste le temps d'essayer de l'apaiser en lui caressant les cheveux et en lui murmurrant :

- Parce que tu n'étais pas prêt pour tout ça ... parce que je t'ai...

Alors qu'elle allait lui murmurrer ces trois mots apaisants qu'elle ressentait pour lui, elle perdit connaissance dans les bras de Cruz.

Cruz appuyait sans ce rendre compte sur son ventre comme si il n'avait jamais existé. Après tout si Beth avait pu partir et faire semblant de prétendre que leur histoire n'avait jamais existé en reprenant son rôle de mère, il pouvait très bien faire la même chose et ignorer ce bébé. Son bébé. Il releva pas la tête quand elle pris la parole pour répondre à ses questions pressantes, il la releva seulement quand il la sentit défaillir. Tout son corps tressautait, il ressentait son malaise comme si ils formaient plus qu'un comme avant.

- Mam... Beth ! Beth !

Cruz redressa sa mère pour la faire asseoir. Il pencha légèrement sa tête pour faire à nouveau circuler le sang enfin c'était pour un truc comme ça. Il se souvenait vaguement de ce que le secouriste lui avait appris après que sa mère l'ai forcé à aller consulter quelqu'un après sa tentative désesperée pour sauver Ugo avec des glaçons. Merde ! Elle allait mourir à cause de lui. Il avait tellement souhaité et maintenant que ça arrivait il regrettait. Tout ce qu'il avait pu lui dire et surtout ses gestes. Mon dieu c'était de sa faute. Il n'osait même pas tapoter sur ses genoux se contentant de les embrasser et posa sa main sur son ventre comme s'il craignait que le bébé n'en sorte trop tôt.

- Je t'en pries mon amour... Pardonne moi. Pardonne moi.

Cruz serra Beth toujours inconsciente contre lui. Il fallait faire quelque chose. Appeler les secours. Oui c'était la meilleure chose à faire si jamais elle accouchait plus tôt que prévu. Dire que tout ça était à cause de lui. C'était de sa faute. Il était impardonnable. La première personne qu'il avait envie d'appeler c'était Ugo. Bizarrement dans les moments les plus pénibles de sa vie, c'était toujours vers son frère qu'il avait envie de se tourner. Ses doigts composèrent rapidement le numéro des secours mais sa voix tremblait tôt et finalement l'opératrice raccrocha pensant sûrement à une plaisanterie. Et les domestiques ? Où était les domestiques quand on avait besoin d'eux.

Beth se sentait partir. Elle ne voyait pas encore la lumière blanche, mais elle n'en était sûrement pas loin. Et bizarrement, elle se sentait apaisée. Elle sentait comme si un énorme poids se détachait d'elle, ce n'était pas le bébé qui quittait son ventre, mais plutôt toutes ses angoisses, dont la plus grande, celle de perdre l'amour de Cruz. Si elle mourait, elle n'aurait pas à supporter ça, à endurer ça, à élever seule cette petite fille qui n'avait rien demandé. Elle qui avait tant de fois songé au suicide ces dernières semaines, était en train de faire l'expérience de ce que mourir pouvait signifier, et elle se sentait bien. Elle savait que si la lumière se présentait à elle, elle n'hésiterait pas à continuer à la suivre. Et pourtant, il y avait encore quelqu'un qui la retenait, qui la maintenait en vie. Cette personne, elle se trouvait désormais dans ses bras, et il semblait complètement dépassé. Si Beth avait été consciente pour le voir, elle en aurait sûrement rit, amusé de le voir ainsi, elle l'aimait tant. Elle aurait été aussi fière de lui de voir qu'il avait mis ses connaissances apprises pendant son stage de secourisme en pratique. Finalement, peut-être l'avait-elle mal jugé et était-il prêt. Alors dans ce cas, peut-être reviendrait-elle à la vie, si elle en avait le courage. Elle ne voulait pas l'abandonner une seconde fois, définitivement cette fois. Et tant pis si elle devait souffrir de ne plus être aimée de Cruz de son vivant, car être détesté par ce dernier en étant morte aurait été tout aussi insupportable, Beth croyant dur comme fer que l'on avait une seconde vie là-haut.
Elle entendait de très loin des voix, des mots, ceux de Cruz, elle n'arrivait pas trop à distinguer ce qu'il disait, elle était tellement à bout de forces, comme si toutes les forces qu'elle avait déployées jusqu'ici pour surmonter les dernières épreuves de sa vie venaient de s'éfondrer toutes en même temps ! Ne pouvant ni bouger, ni remuer, ni parler, elle continua à se laisser aller ... sentant un à un ses membres partir.

911. C'était le seul moyen, la seule solution. Tant pis si ce coup de fil était le dernier avant la case prison, il passerait au moins sa vie derrière les barreaux avec la certitude qu'il avait fait tout ce qu'il fallait pour la sauver. Il sortit son portable de sa poche arrière et transmis à l'opératrice toutes les informations dont il était capable. Il était terrifié et perdu comme un petit garçon sans sa maman. Sauf que la femme qui était étendue et inconsciente à cause de lui, était aussi la femme de sa vie. Il l'aimait comme un dingue et... Oh mon dieu il l'avait peut-être tué. En posant ses doigts sur son ventre rond il pensa alors au pire. Leur bébé. Il lui avait peut-être fait du mal. Il avait toujours refusé de penser à cet être comme à quelque chose qui lui appartenait mais d'un coup un lien indicible venait de se créer. Il était son père. Il devait protéger sa fille. Lui assurer un monde de paix et d'harmonie. Loin des cris et de la violence. La sirène de l'ambulance le tira de sa torpeur et il ne se décolla du corps de Beth qu'il ventilait que lorsqu'on lui ordonna. Il se rendit dans sa chambre pour téléphoner après que les secouristes lui ait ordonné de le laisser faire son travail.

- Ugo... souffla t'il. Je sais que tu veux pas me parler qu'on se déteste mais bordel on est frères et puis c'est pas pour moi que j'appelle. C'est pour maman. Elle est à l'hôpital de Toronto.

Cruz ignorait quelle force surnaturelle venait de le pousser à laisser ce message lamentable sur la messagerie de son petit frère. Sûrement que la trouille de perdre Beth agissait sur ses neurones et altérait sa conscience. Sans savoir si Beth reviendrait avant ce soir, il mit plusieurs de ses affaires avant d'abandonner cette tâche à sa bonne. Il fallait réfléchir et il n'était pas en état. De plus les ambulanciers s'apprêtaient à emmener sa mère. Il posa sa main dans la sienne et la porta à sa lèvre pendant la voiture filait dans la ville.

Beth le savait, Beth le sentait, elle allait mourir. Se laisser mourir. Elle n'avait plus aucune raison de se battre maintenant que son plus bel et grand amour lui avait fait comprendre qu'il ne voulait plus d'elle et de leur fille dans sa vie. Mais c'était une étrange sensation que de se sentir vide, de sentir la mort tout autour de soi, quand à l'intérieur de son utérus, on porte la vie. Elle savait qu'elle risquait sûrement de mourir, mais elle savait que ce bébé, lui, allait vivre, et il fallait que son père soit là pour elle, pour combler cette absence horrible de la mère qui manquerait tant à ce bébé innocent, à cet enfant de l'amour, à cette petite fille que Beth avait tant rêvé, depuis des années.
Alors qu'elle ressentait autour d'elle beaucoup d'agitation, qu'elle sentait le poids de Cruz sur elle, et qu'elle entendait, très vaguement, comme un écho, des voix, des cris, des larmes, elle se laissait aller sur le long chemin de la mort, elle n'attendait plus qu'une chose, apercevoir la fameuse lumière au bout du tunnel, pour la suivre éternellement. C'est alors qu'elle sentit la main de Cruz attraper la sienne et la serrer, et elle sentit alors des larmes chaudes et salées, qui lui brûlaient horriblement ses petites pomettes, couler le long de ses joues. Finalement, la perspective de mourir ici, dans cette ambulance, la terrifiait plus qu'elle n'avait pu l'imaginer. Elle réussit alors, dans un soupir, à murmurrer à l'oreille de Cruz, les yeux toujours clos :

- Occupe toi ... ta fille ...

Puis, sentant ses forces diminuer à nouveau et l'oxygène lui manquer, elle s'évanouit à nouveau, faisant biper toutes les machines auxquelles elle était reliée dans l'ambulance. Mais dans sa tête, elle hurlait à Cruz, persuadé qu'il pouvait quand même l'entendre, le ressentir :

* JE T'AIME, NE M'ABANDONNE PAS ! *

Cruz refusait d'envisager la possibilité que Beth ne survive pas. Il ne pouvait pas vivre sans elle, il refusait d'être celui qui lui avait retiré la vie. Non il ne pouvait pas l'admettre. Son cœur semblait se scinder deux alors que le visage de Beth restait impassible malgré les efforts des médecins qui se bousculaient dans l'ambulance. La main serrée contre celle de sa mère, il entrouvrit les lèvres pour pousser un soupir de soulagement en entendant sa voix contre son oreille. Le fils qu'il était attendait des mots réconfortants, quelque chose qui lui aurait fait comprendre qu'elle ne lui en voulait. Qu'elle comprenait sa colère de gamin jaloux. Mais au lieu de ça elle lui parla du bébé. Cette fille qui lui semblait si loin et si floue mais qui paraissait pourtant si réelle aux yeux de Beth au point qu'elle ne se préoccupe que d'elle alors que... Non non. Impossible. Il ne pouvait pas y croire. Elle ne pouvait pas mourir pas elle. Imaginer sa beauté s'altérer au fil des mots dans un cercueil lui paraissait écœurant. Il serra encore sa prise autour de ses doigts alors que les machines s'affolaient en même temps que les battements de son cœur qui devenait maintenant désordonné.

- Beth ! Je t'en pries je suis désolé mon amour... si désolé... Ne me quittes pas. Ne me quittes pas. supplia t'il en larmes en enfonçant sa tête dans les longues boucles brunes de son amante.

Ce n'était pas sa mère qu'il pleurait là mais la femme qu'il aimait de tout son coeur. Une femme encore qu'il avait blessé comme il avait blessé les précédentes Loan, Selena et maintenant Chloé. Il posa sa main sur le ventre découvert qu'un médecin venait de recouvrir de gel pour s'assurer que le bébé allait bien. Pour la première fois, la vie de ce bébé lui importait peut-être parce que Beth l'aimait.

- Comment vas le bébé ? Et Be... ma mère, elle vas sortir pas vrai ?

Personne ne lui répondit. Il était seul. Tout seul avec en écho la voix de Beth qui augmentait encore son sentiment de culpabilité.

Beth continuait à être tiraillée entre 2 sentiments, entre 2 forces : se laisser mourir, ou se battre pour vivre. Elle n'était plus tellement en mesure de savoir qu'elle était la meilleure solution. Vivre seule avec sa fille et le mépris de son amour, ou mourir seule en laissant sa fille aux mains de son père. Elle, elle aurait tellement voulu que tout soit différent. Elle aurait voulu que Cruz et elle quitte Degrassi ensemble et aille fonder leur famille paisiblement dans un endroit perdu du Canada, là où personne ne connaissait ni son nom ni son histoire. C'est alors qu'elle entendit, d'assez loin et résonnant dans sa tête, les paroles et les pleurs de Cruz. Elle sentit alors ses propres larmes couler le long de ses joues, preuve qu'elle était encore bien vivante et qu'elle pouvait donc survivre. Il ne manquait plus que sa volonté pour s'en sortir ... et entendre Cruz ainsi lui donna espoir. Espoir que peut-être un jour, dans u nfutur proche, elle pourrait être éternellement aux côtés de celui qu'elle aimait.
Pendant ce temps, les secouristes et médecins qui s'affairaient autour d'elle essayaient de retirer Cruz qui était collé telle une sangsue à sa mère, et l'un des médecins finit par répondre à sa question, ne laissant alors que trop peu d'espoir à Cruz en lui disant qu'il devait se préparer à l'évidence, et que si juste son petit frère ou sa petite soeur survivait, il devrait s'estimer heureux.
C'est alors que Beth réussit à entrouvrir un oeil, son rythme cardiaque se stabilisant, et elle attrapa et serra de toutes les forces qu'elle le pouvait la main de Cruz. Elle ne pouvait plus parler, l'émotion ayant pris le dessus, mais elle plongea son regard, les yeux brillants, dans le sien, et elle savait que Cruz savait lire en elle, que juste un regard suffisait. Elle était sauvée, elle était en vie. C'était tout ce qui comptait à ce moment précis...

Cruz était accroché à sa mère, incapable de se soustraire à cette odeur délicieuse à la douceur de sa peau qu'il refusait d'imaginer froide. Les ambulanciers durent si prendre à plusieurs reprises avant de parvenir à arracher l'adolescent du corps de Beth. Cette fois-ci il n'avait plus honte de rien, de ses larmes de ses cris désespérés. Le médecin venait de lui annoncer que sa mère allait peut-être y rester oui ça s'est bien cela qu'il lui faisait comprendre à travers ce jargon médical qu'il ne supportait pas. Griffant et frappant tout ce qui mettait en travers de lui. Un des ambulanciers tituba de quelques pas lui laissant le champ libre. Au même moment un miracle se produisit. Le rythme cardiaque de Beth se stabilisa et surtout ses yeux s'ouvrirent.
Ceux de Cruz s'écarquillèrent sous la surprise et l'émotion. Son cœur explosait dans sa poitrine qui semblait s'étioler à force d'abriter les battements désordonnés de son organe. Il tomba à genou devant sa mère et attrapa avec maladresse sa main qu'il pressa contre ses lèvres.

- Oh merci mon dieu... Merci !

Les larmes se cristallisèrent sur ses joues. Il était dans une sorte de transe, la peine s'était subitement envolée, il ne ressentait plus qu'une grande plénitude. Le regard perdu dans celui de Beth, des pensées incohérentes se bousculaient dans son cerveau mais une seule évidente prédominait. Il fallait qu'il l'exprime, qu'il lui dise ce qu'il avait sur le coeur.

- Je t'aime Beth. Je t'aime... Cruz poursuivit sans s'occuper des mines stupéfaites du personnel médical, gênés par la scène qui se déroulait devant eux. Je te laisserais plus jamais. Plus jamais. Avec le bébé... Notre bébé on formera une famille. La plus belle et la plus heureuse des familles.

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