Une fois n'est pas coutume, Lyra travaillait et en se montrant studieuse s'il vous plaît. Les poings fermement ancrés sur ses hanches et une moue concentrée au visage, elle détaillait son livre de recettes tout neuf à la recherche de la réponse à sa légitime interrogation : pourquoi ? Pourquoi la photo de ce simple gâteau au chocolat était-elle si différente du simulacre de plat qu'elle avait mis des heures à concocter, risquant sa vie à chaque instant ? Alors que sur le livre, un plat brillant et parfait la narguait, le contenu de son récipient, lui, faisait peine à voir. Du chocolat vaguement fondu en une purée grumeleuse flottait mollement dans un bouillon plutôt inquiétant d'oeufs, de farine, de sucre et de beurre. En effet, il semblerait que par un miracle du saint esprit, sa sauce à base d'oeufs avait décidé de se rebeller au contact du chocolat fondu pourtant préalablement refroidi, comme indiqué. Dubitative mais pas abattue, Lyra ne disposait que de deux choix : faire disparaître ce désastre et prétendre qu'il n'avait jamais existé ailleurs que dans son esprit créatif pour mieux recommencer ou bien... tâcher d'arranger le massacre et prier très fort tous les dieux de la création pour que la cuisson se charge de transformer cet essai raté en un repas qui n'intoxiquerait pas son Manuel, qui méritait tous ces efforts et plus encore. De toute façon, elle n'avait pas le choix : Lyra restait persuadée qu'elle mourrait d'ennui si jamais elle devait de nouveau passer une heure à malaxer de la farine, du beurre et consorts jusqu'à en faire une pâte plus ou moins comestible. Déterminée à remercier son âme soeur de son accueil chaleureux et si heureuse à l'idée de passer un moment en tête à tête avec lui autour d'un succulent repas (enfin... presque), elle avait vraiment tenté de mettre les petits plats dans les grands. Mais pour cela, il fallait que la cuisine se montre coopérative et ce n'était pas gagné, loin de là. Faute de solution, Lyra dissimula habilement sa pâte parfum carnage sous un amoncellement plutôt impressionnant de pâte à tartiner et enfourna le tout, soudain légère et guillerette malgré ses multiples entailles, ses cheveux hirsutes et la farine qui maculait le moindre de ses vêtements. Cela dit, elle n'en portait pas beaucoup. Malheureusement, occupée à créer une nouvelle pétition en ligne pour défendre la cause des animaux opprimés de ce monde (Internet, quelle belle invention), la volubile brunette n'entendit pas le four sonner et ne se releva précipitamment que lorsqu'une odeur désagréable vint irriter ses narines délicates. Bondissant jusqu'au four avec la réactivité d'une parfaite illuminée, Lyra ne put que constater son gâteau recouverte d'une couche noire sans doute particulièrement toxique. Bon, bon, bon. Lâchant un (enième) soupir, elle dégagea son dessert du four, ouvrit la fenêtre pour aérer le nuage de fumée qui envahissait la cuisine et tâcha de rattraper son désastre. Après tout, sous cette couche calcinée, son gâteau devait être délicieux, non ? C'est ce à quoi songeait Lyra qui s'arma d'un couteau pour gratter courageusement le brûlé, creusant au sein de son oeuvre des trous particulièrement peu reluisants. Assez peu conquise par le résultat, elle décida de l'ensevelir sous une montagne de sucre glace pour tromper le client et écrivit un Manu artistique (autrement dit, penché, inégal et franchement moche) sur son oeuvre culinaire au dernier degré. Voilà qui était mieux. Heureusement, le reste du repas se composait de plats vegan qu'elle avait appris à cuisiner, avec le temps et l'aide précieuse de Cassie. Lyra jeta un dernier coup d'oeil à la cuisine souillée et s'apprêtait à aérer la pièce quand Manu fit son apparition dans son chez lui noirci et enfumé. Ravie de savourer une soirée à deux (la première d'ailleurs), elle décida de ne pas faire cas de tout ça pour se lover contre le torse de son âme soeur et déposer une pluie de baisers sur ses joues barbues.
- Tu es en avance, ma surprise n'est pas terminée... Mais ça ne fait rien je suis heureuse de te voir. J'espère que tu as faim ?
Déclara Lyra d'une voix rieuse avant d'hausser les épaules pour l'entraîner à sa suite au sein du capharnaüm plein de bonne volonté de sa cuisine.