Beverly n'avait pas hésité un seul instant pour se plaindre. Elle avait tout d'abord râlé, pesté comme jamais à l'encontre de Cruz -sans la moindre insulte à voix haute bien sûr, car Beverly était une jeune fille très polie en présence d'adultes. Puisque rager contre ce crétin n'y avait rien fait, elle était peu à peu tombée dans un registre nettement différent : celui de la victime. Si douée qu'elle aurait pu décrocher une larme à son public... Mais non, le principal Presley était sans cœur. Un véritable sadique qui la contraignait à se coltiner à nouveau Cruz en heure de retenue. En passant le seuil de la porte, découvrant sa salle de détention encore vide, elle soupira. Son père allait faire une descente au lycée, ça n'allait pas faire marrer ! En attendant, il fallait qu'elle endure à nouveau ce supplice. Elle s'installa et quelques minutes plus tard, Preston fit son apparition.

Cet idiot semblait ravi de la retrouver ici, ou du moins de pouvoir la narguer du fait qu'elle se retrouvait dans la même situation que lui, qu'elle y avait perdu en lui faisant un sale tour. Pourtant, malgré cette horrible punition, elle ne regrettait absolument pas sa provocation. Elle en était même fière, savourant le souvenir d'un Cruz dépité et frustré ! Un bonheur ! Alors qu'il venait de s'installer au bureau voisin à celui de Beverly, la demoiselle récupéra son propre sac et déménagea une table plus loin, tout en offrant un large sourire hypocrite à Cruz. Il allait se tenir loin d'elle, sans quoi elle se faire un plaisir de lui écraser sa misérable petite tête sous les talons de ses louboutins.

Cruz avait profité de l'absence du prof pour changer à son tour de table et donc de se rapprocher d'elle. Il affichait ce sourire qui donnait envie à Beverly de lui fracasser la tête contre la table. Quel bonheur ça aurait été... En cours de chimie elle rêvait de lui balancer de l'acide dessus... En mathématique de lui planter une équerre ou un compas dans la main... En histoire et géographie, de l'assommer avec des encyclopédies... Chaque matière faisait naître des élans de violence chez la jeune femme, pourtant si douce. Il fallait la voir avec la petite Prudence ! Tout simplement adorable et délicate. Un amour de baby-sitter ! Et c'était une bonne chose si Beverly pouvait ainsi priver ce petit con prétentieux de ce qu'il désirait tant : voir sa sœur. « On a fini son caprice, Preston ? » -lança-t-elle pour lui remémorer la crise qu'il lui avait fait dans le parc. Elle avait envie de se moquer. C'était un moyen comme un autre de se détendre, d'évacuer toute la colère qu'elle portait à son égard. Il ne méritait pas mieux de toute façon... « Je suis ravie de voir que t'es content d'être ici un samedi au lieu d'être avec ta copine, ou je sais pas, tes potes, tes groupies, ...ta sœur. » Hop, on en rajoute une petite couche au passage !

Cruz commençait bien cette heure de retenue, puisqu'il l'insultait et faisait mine d'être totalement hermétique aux provocations de Beverly. Seulement l'adolescente n'était pas dupe. Il pouvait tenter de lui faire croire que ses réflexions glissaient sur lui sans jamais le toucher, elle était persuadée du contraire. Conne mal baisée ? Elle le regarda et répliqua : « Pourtant je ne t'ai jamais invité dans mon lit ! » Elle retint le ''connard'' de ponctuation, préférant frapper simplement dans l'ego de ce crétin. Détournant le regard, elle se recula au fond de sa chaise et croisa les jambes. Elle sortit de son sac une lime à ongles et entama un mouvement d'aller-retour sur sa manucure déjà parfaite. Quitte à se faire chier... Il fallait bien économiser son temps comme elle pouvait. Si elle survivait à cette heure en la compagnie de Preston, elle se faisait la promesse de tout faire pour ne plus avoir à réitérer l'expérience. D'un calme impassible, elle avait décidé de jouer la carte de l'indifférence. C'était ainsi que l'on faisait craquer les gosses capricieux, en demande permanente d'attention. Ça faisait des conneries, ça criait, ça se montrait exécrable... Tout ça pour être regardé. Beverly n'avait pas l'intention de faire ce plaisir à Cruz.

Cette réponse était tellement... prévisible ! Digne d'un petit péteux dans son genre, qui vante ses exploits à qui veut bien l'écouter. Mais ne dit-on pas ''Qui en parle le plus en fait le moins.'' ? Beverly esquissa un large sourire à cette simple pensée. Il transpirait d'assurance, à tel point que cela perdait en crédibilité. Elle hocha la tête, l'air de dire qu'il pouvait toujours parler ça ne l'intéressait pas vraiment. L'ignorer était son plan... Mais c'était sans compter sur le don incroyable qu'avait le jeune homme pour se montrer agaçant au possible. Le roi des casse-couilles (bien que Beverly ne soit pas dotée de tels attributs) ! Son petit bruit était tout simplement horrible, tapant sur les nerfs de la petite brune. « T'es sérieux là ?! » Ce son lui rappelait l'âne, dans le film d'animation Shrek. Cruz avait un QI qui se rapprochait de ça... Beverly leva haut la main, demandant poliment la parole, en mode lèche-botte. « Auriez-vous du scotch s'il vous plait, mon camarade a du mal à garder la bouche fermée... Pourtant, ce sont bien vos règles : silence complet. » Elle comptait bien lui faire fermer son clapet, quitte à sur-jouer ses interventions. C'était lui qui avait commencé à mentir à tout va, en tentant de se faire passer pour l'ange qui n'était absolument pas et ne serait jamais.  

Miss La Balance... Peut-être qu'un tel surnom serait idéale pour Beverly en présence de Cruz. Peut-être que cela serait parfait pour qu'elle agisse de manière agaçante en permanence, lui rendant la monnaie de sa pièce. Après tout, elle pouvait bien essayer de le prendre à son propre jeu, lui qui tentait de passer pour le fils modèle de la grande Beth Preston, alors qu'il n'était rien d'autre qu'une petit con comme les autres, avec un compte en banque garni en plus. Il ne fallait pas qu'il se fasse trop d'illusion : ses cheveux parfaitement lisses ne pouvait pas cacher son infecte personnalité !

A la suite de sa demande, Cruz s'était levé de son bureau. Elle l'avait suivit du regard sans rien dire, pensant qu'il était peut-être assez bête pour se scotcher la bouche tout seul... Non, il allait sans doute jouer un petit air de violon et tendre un mouchoir au proviseur Presley pour se faire passer pour une victime. Ce scénario était devenu un véritable refrain désormais, qu'il répétait sans arrêt. Ce mec était prévisible, monotone... chiant en fait ! Bingo ! Il avait pris le ruban adhésif. Sauf qu'elle n'avait pas prévu qu'il lui colle sur la bouche. Elle ouvrit les yeux en grand, surprise et tout simplement hors d'elle. Elle tira délicatement dessus -attention à sa pauvre petite bouche pulpeuse, voyons ! Et fusilla Cruz du regard. « Ce que tu peux être con... C'est incroyable ! » 

Ce revirement de situation ne l'avait absolument pas fait rire, bien que Cruz en semblait amusé et fier. Elle avait pris soin de retirer soigneusement le scotch de sa bouche sous le regard de ce crétin. Oui, un véritable idiot qui faisait l'enfant devant le professeur. Il grillait tout seul son image de lèche-botte, sage et sérieux, au profit de celle d'un adolescent aussi bête que ses pieds. Il fit demi-tour pour retourner à sa place, mais jugea bon et nécessaire de poser sa bouche sur celle de la brunette avant de se rasseoir. Son sang ne fit qu'un tour, loin de toute dose d'adrénaline due à des hormones échauffées. Au contraire, par réflexe et instinct, elle tenta de le gifler. Malheureusement, il avait dû prévoir sa réaction avant même de l'embrasser furtivement, et c'était donc reculé.

Pour appuyer son mécontentement, frôlant le dégoût, elle s'empressa de s'essuyer la bouche avec exagération. « Garde tes MST ! » Sérieux, il se tapait tout et n'importe quoi, il sortait avec une nana qui passait son temps sur un terrain vague et côtoyait des mecs louches... Il allait peut-être lui refiler la mort avec un simple smack ! Passant et repassant sur ses lèvres, elle en faisait volontairement des tonnes et finit par se remettre un peu de gloss. « Ne t'avise pas de recommencer car pour moins que ça je crierais au viol. »

Cruz avait retenté une approche, loin d'être subtile, et ce crétin avait atteint son objectif en lui volant un second baiser. Beverly allait l'étriper. Tout son corps s'était tendu, sentant ses nerfs de plus en plus mis à l'épreuve. « Garde ta sale bouche loin de moins Preston ! » Elle le fusilla du regard, refusant de se faire à voir une troisième fois. Il prenait cela pour un jeu et elle savait qu'il avait trouvé le moyen de lui faire péter un câble. Il suffisait de voir son sourire et petit vicieux pour le deviner !

D'une voix qu'elle espérait menaçante, et qui était en tout cas transpirante de sérieux et d'agacement, elle reprit : « Je te jure, si tu me touches à nouveau, je te castre ! T'as déjà goûté à des Louboutin ? Ça te fera mal, crois-moi. » Il allait se tenir à bonne distance, sans quoi Beverly passerait au plan B et balancerait tout ça à Beth, qui se fera sans doute une joie de lui remettre les idées en place avec un taser. Cruz Preston était peut-être le crétin le plus prétentieux que cette terre ait porté à ce jour... Et il fallait qu'elle se retrouve en heure de retenue avec lui.

Beverly était tout simplement ravie d'apprendre que Cruz la trouvait chiante. Si elle perdait tout intérêt pour lui, elle gagnait sa tranquillité. Alors oui, elle voulait bien être une véritable chieuse, ennuyante à mourir. Elle lui adressa un regard blasé et haussa les épaules. Bon sang, ce qu'elle pouvait se moquer de ce qu'il pensait à son sujet ! Comme pour relancer la machine, il chercha à l'attaquer en remarquant alors qu'à l'instant T, elle ne portait pas de Louboutin. « Bravo Galliano, tu sais reconnaître des Louboutins ! » Elle afficha un grand sourire hypocrite et agacé, puis reprit : « Je sais que tu adoooores les cruches aux cervelles de moineaux, mais je suis désolée de t'apprendre que je ne suis pas assez conne pour croire que là, tout de suite, tu te laisseras gentiment faire. Alors mes Louboutins, tu les sentiras quand tu ne t'y attendras pas ! » Elle papillonna des cils, toujours avec ce même sourire, comme pour imiter les niaises qui l'abordaient en temps normal. Peut-être qu'en tenant un dialogue similaire -ou du moins une attitude- l'information monterait plus efficacement dans sa petite tête.