Barbara n’aurait jamais cru que cela puisse être aussi simple de faire le mur en vivant chez les Cooper. Son manque de liberté était la première chose à laquelle elle avait pensé lorsqu’elle avait appris sa mise sous tutelle dans le bureau du notaire. Quand elle vivait chez Ian, elle n’avait nullement besoin de se sauver en douce quand elle voulait sortir en soirée, son père tenait limite à l’accompagner pour sauter quelques lycéennes. Becca était plus casanière, personne n’en doutait. Maintenant Barbie s’était habituée à se comporter comme une adolescente normale et partir en virée nocturne en cachette. Avec Warhol comme complice, c’était encore plus simple que les premiers temps où elle avait exploité les joies de fuguer seule. Son faux frères la rattrapait pour ne pas qu’elle abîme ses vêtements sur les rosiers de Becca.

C’était seule que Barbara se rendait au Stone bar, ce soir. Les premiers temps, elle s’était munie d’une fausse carte d’identité pour pénétrer dans les lieux, mais maintenant tout le monde la connaissait. Le physio à l’entrée ne lui demandait plus aucuns justificatifs, mais après tout elle était une Thomas. La fille orpheline qui avait perdu son père, le richissime Ian Thomas, personne n’était censé ignorer son âge et sa minorité. D’une démarche assurée, Barbie se rendit jusqu’au bar et commanda un Bloody Mary.

- Oh, s’exclama-t-elle un peu surprise, dans un sourire éblouissant, en écoutant Jyl la saluer. Tu es avec la nouvelle traînée de Degrassi ?

Barbie marqua son visage d’une grimace à cause de l’écœurement que lui procurait les supposées MST de Chelsex. La rouquine était très jolie, les hommes l’aimaient beaucoup… le temps de se vider, trois petits coups et puis s’en vont. Barbara était toujours blasée quand sa cousine misait l’avenir des So Cool sur cette rousse incendiaire. Dieu merci, elle ne serait plus là pour voir ce triste spectacle. Barbie préférait intimement Jyl, mais il était hors de question de l’avouer à voix haute, elle avait beaucoup trop de fierté pour s’abaisser à flatter les autres. Sa grimace de dégout s’effaça pour laisser place à un sourire complice. Les deux filles paraissaient si soudées auparavant, mais leur amitié avait certainement explosée au même moment où Charlie les avait mises en compétition. Sa cousine était tellement fausse qu’elle avait certainement manigancé tout ça pour diviser afin de mieux régner. Elle pouvait s’avérer détestable quand on ne la connaissait pas, mais Barbie la connaissait que trop -et intimement, qui plus est (a)- pour la haïr. Barbara aimait sa cousine tendrement et savait au fond d’elle que c’était réciproque, peu de personne pouvait se vanter de pouvoir l’atteindre, mais Barbara avait ce privilège. Le privilège de lui tenir tête quand elle le jugeait utile, de la blesser quand elle voulait faire tomber son masque et lui donnait une âme un peu plus humaine. Les deux cousines Thomas avait l’habitude de se disputer, mais elles s’aimaient trop pour s’arrêter sur des chamailleries.

Aujourd’hui, le problème était qu’elles ne s’étaient pas disputées, mais qu’elles s’éloignaient. Barbara ne savait dire si elle se sentait en manque ou libérée, en revanche elle reconnaissait que c’était de sa faute. Depuis la naissance du couple Uglie, Barbara fuyait Charlie. Elle n’approuvait pas du tout ce nouveau petit-ami. Elle avait laissé sous-entendre à Warhol que c’était par solidarité, mais au fond d’elle, elle détestait Ugo depuis toujours et plus encore après son comportement à l’hôpital, lors de l’hospitalisation de Beth Preston.

- Je… Charlie doit être avec Ugo, dit-elle sans laisser paraître son agacement.

Elle avait failli dire qu’elle détestait le petit-ami de sa cousine et que pour cette raison, elles n’étaient pas ensemble au risque où Barbie aurait dû s’accommoder de la présence d’Ugo. Mais les So Cool avaient une certaine image d’unité à conserver pour entretenir leur aura prestigieux.

- Alors, on raconte que tu es à l’initiative de la diffusion de la sex tape de Cherry ou Chelsea, bref la rousse quoi, trancha Barbie. Raconte, lui demanda-t-elle dans un sourire qui laissait aller aux confidences.

- C’est un So Cool et un Preston, dit-elle à contre-cœur. Ce n’est pas le premier péquenaud venu, quand même et puis, il est plutôt mignon avec ses cheveux courts.

Sa bouche allait saigner, du moins Barbara avait l’impression. Dans cet éloge tout n’était pas complètement faux, mais quand bien même elle rêvait de voir la chute du couple Uglie, elle ne voulait pas que la populace se permette de critiquer un So Cool de la manière dont Jyl l’avait fait. Aujourd’hui, c’était Ugo la bête noire et demain ? Liam ? Autumn ? Warhol ? Ou pire encore : Elle-même. Voilà pourquoi l’unité était importante, les uns sans les autres, ils n’étaient plus rien et cet exemple d’impertinence que la blondinette lui avait donné, prouver qu’ils avaient bien fait d’éjecter Cruz des So Cool. Il s’était donné une image trop accessible avec sa junkie de bas quartier et le reste du groupe payait les pots cassés.

- Il semblerait que ce soit toi qui lui ait donné la fameuse vidéo, ajouta Barbie dans un sourire charmeur. Malgré les apparences, nous ne sommes pas inséparables Charlie et moi. Je suis indépendante, je ne suis pas Cammie.

Elle faillit rajouter "je ne suis pas sa groupie, je ne suis pas toi", mais pour des raisons diplomatique se tût. Effectivement, Charlie ne lui avait rien dit. Mais comme elle l’évitait ces derniers temps, c’était tout à fait normal. Contrairement à Cammie, Barbara n’était pas un toutou et elle considérait sa cousine comme son égal. Peut-être que leur échange de langue à un certain moment de leur amitié n’y étaient pas pour rien. Mais si ils avaient eu ce bon côté, ils en avaient eu des plus mauvais. Certes Barbie était naturellement indépendante, car elle était insoumise face aux pétages de plombs de sa cousine et de sa jalousie excessive. Mais la lourdeur de leur relation était parfois trop difficile à supporter, peut-être était-ce pour ça que malgré sa désapprobation du couple Uglie, elle ne s’était encore pas mis en tête de le défaire. Avec ses nouvelles occupations, Charlie lui foutait un peu plus la paix et lui épargnait des crises de possessivité inutiles.

Barbie sourit un peu amusée devant l’assurance de Jyl. La blondinette était un sacré numéro, elle avait l’air d’une poupée innocente de loin, mais s’avérait être un ersatz de Charlie en plus intrépide et moins de classe. Bien sûr, Jyl n’était pas un déchet pour autant et semblait quand même beaucoup plus chic que sa meilleure amie Chelsea. Mais elle était jeune, seulement un an les séparait et malgré tout il se faisait sentir. Hormis l’intérêt que Barbara avait pour les So Cool et surtout pour leur image, elle était quand même assez contente au fond d’elle d’entendre des gens extérieurs à leur cercle, critiquer Ugo qui avait été proclamé Roi sans l’accord de personne, par Charlie. Mais pour la forme, elle ne le dirait jamais à voix haute. Blondie n’avait pas totalement tord quand elle disait que les rumeurs circulaient beaucoup, sans réelles preuves concrètes. Les choses se passaient souvent ainsi, plus encore à Degrassi. Barbara ne doutait pas une seule seconde que Charlie puisse être à l’origine de cette scène répugnante entre Chelsex et Wayne, quand Barbie était arrivé à Degrassi pour vivre chez Charlie en début d’année et avant d’apprendre l’existence de son père en la personne de Ian, une soirée innocente entre deux meilleures amies pas encore cousine s’était terminée en partouze dans le salon de Jimmy Brooks. L’unique commanditaire de cette débauche avait été bien entendu la Queen Bee, qui s’était envoyé en l’air avec le coach de l’équipe de basket sous les yeux effarés de Barbie et Warhol. Personne n’ignorait les ambitions de popularité de Jyl, un petit boudin qui s’était transformé en un magnifique papillon et qui en profitait voulait sûrement rayonner comme les So Cool. En revanche, ce qui étonnait la So Cool était pourquoi Jyl ne s’attribuait pas le mérite de cet énorme buzz même si elle n’en avait pas été l’investigatrice, Charlie n’avait plus besoin de ces petits coups de putes pour assoir sa réputation, comme le reste des So Cool, mais s’en attribuer pleinement le mérite aurait été un excellent coup de pouce pour Jyl et sa réputation.

- Me remplacer ? demanda Barbara interloquée. Devenir sa cousine, je doute que ce ne soit possible, dit-elle sur un ton taquin.

Cammie. Barbie l’aimait bien, mais à petite dose, elle n’était pas méchante mais sa superficialité et sa niaiserie pouvait vite devenir insupportable. Elle avait la réputation d’être une fille facile, un peu comme Chelsea sauf qu’au moins Cammie était une fille de. Si sa mère n’avait pas été l’illustre Tinsley Sullivan, nul doute qu’elle n’aurait jamais fait partie des So Cools. Barbara ne voyait vraiment pas en quoi Cammie pouvait la remplacer, déjà elle ignorait elle-même si elle avait une place prédéfinie et si elle en avait eu une aucun doute que Cammie n’aurait pas été assez intelligente pour s’en accaparer. Barbara rejeta ses cheveux en arrière et se pencha pour siroter son mojito, fixant dans les yeux Jyl en faisant mine de réfléchir, avant de reprendre où elle s’était arrêtée.

- Sans rire, dit-elle en appuyant ses mots d’un signe de la main. Cammie est géniale, mais elle a les mêmes faiblesses que ta meilleure amie. Tu sais ce qui fait la différence ? Elle est la fille de Tinsley alors que ta pote est la fille de personne, expliqua Barbie le plus sérieusement du monde, sans se rende vraiment compte de la méchanceté de ses propos. T’es pas un peu dégoutée que Charlie te dévalorise en te mettant en compétition avec elle ? demanda-t-elle en guise de conclusion.

Bien sûr qu’elle avait raison, mais elle n’allait pas non plus argumenter pourquoi devant Jyl. Elle n’avait rien à prouver à Jyl et puis quand bien même, Charlie n’était pas le centre du monde. Barbara savait qu’une seule chose : elle faisait partie de l’une des rares personnes qui avait le pouvoir de blesser Charlie Thomas, la chance de la voir rire avec sincérité, la surprise de la voir faire tomber son masque et le malin plaisir de pouvoir baiser avec elle en un claquement de doigt. Le dernier point était ultra secret et de toute façon, elles n’avaient plus trop de rapports sexuels, ni une ni l’autre ne voulait être incestueuse. Elles se faisaient des câlins parfois dans leur moment de compassion, avant que l’une envoie la première pique et qu’elles attendent quelques heures avant de faire la paix l’air de rien. C’est à cette pensée que Barbie se rendit compte que sa cousine lui manquait, peu importe avec quel crétin elle sortait, Charlie avait toujours été là dans ses moments difficiles. Barbie ne put s’empêcher de rire en écoutant le futur que Jyl imaginait pour Cammie et Chelsea. Mais elle voyait là encore une bonne ouverture pour appuyer sa thèse qui disait que seule une traînée dont les parents étaient importants pouvait devenir une So Cool.

- Sauf que l’une enfantera un batard choyé par tous et habillé en Armani et l’autre le mettre à la DASS, répondit Barbie avec un sourire malicieux au visage, avant que celui-ci ne s’efface en pensant à ses amis Mika et Liam qui venaient de la DASS. Oublie, c’est odieux… Mais ça reste un peu vrai.

Elle prit une grande gorgée de son mojito.

- Pour ce qui est de Chelsea et toi, tu prêches une convaincue, lui assura Barbie dans un sourire charmeur. Mais Charlie a l’air de vous mettre au même niveau et je trouve que c’est un gros manque de pragmatisme de la part de ma cousine de ne pas le voir, effectivement. Après faut avouer que cette Chelsea a l’air carrément rigolote… mais c’est tout.

Jyl n’avait pas tort dans le portrait on ne peut plus réaliste qu’elle brossait de Charlie. Barbara savait très bien tout ce que la blonde lui disait, Charlie aimait qu’on lui obéisse. Depuis qu’elle la connaissait, sa cousine avait toujours été comme ça. Lorsqu’elle n’avait aucun lien de parenté, cette facette de son caractère s’était toujours ressentie dans leur relation. Plus encore, à l’époque même si Barbie ne se laissait jamais trop faire puisqu’elle se sentait en dehors de son royaume. Elle ne venait à Degrassi que pendant certaines vacances scolaires, toute sa vie était à New-York et n’avait donc rien à craindre du joug de Charlie Thomas. Mais quand Barbara décida de venir vivre chez sa meilleure amie et étudier à Degrassi, ce fut la période où elle se sentit le plus dominée car non seulement elle vivait chez elle et en plus, elle faisait partie de son fameux royaume. Mais quand elle est devenue une Thomas, leur relation s’est faîte beaucoup plus égalitaire par la suite, puis plus sentimentale.

- Tant mieux pour toi, dit-elle. A ton futur règne et à ta future Cammie, s’exclama Barbie. En espérant que tes ambitions ne se limitent pas qu’au lycée de Degrassi.

Elle aussi à un moment donné avait voulu devenir la nouvelle Queen Bee du lycée. Mais les gens changeaient, elle se disait à présent qu’être la reine de Degrassi était une petite ambition. En y repensant bien, elle n’avait jamais réellement souhaité le devenir, elle l’avait surtout envisagé par vengeance envers Charlie. Sans succès, elle n’avait sûrement pas assez mis d’elle-même dans cette tâche. Dans la réalité, sa place lui plaisait. Elle était populaire, descendante d’une grande famille, elle avait un dressing plein à craquer de vêtements de luxe et ne squattait pas le Terrain Vague. La seule ombre au tableau était Becca qui devait s’occuper d’elle maintenant que son père était mort. Barbie ne pouvait plus dépenser son fric comme elle voulait, impossible de craquer le pib d’un pays africain en un après-midi shopping, Becca ferait un arrêt cardiaque.

Barbie se crispa légèrement en écoutant parlé de Cruz. Il était son plus fidèle ami, son meilleur coup et l’une des rares personnes qu’elle considérait avec autant de tendresse. Mais comme Krys, ça c’était avant. Pas vraiment en fait, elle essayait de s’en persuadait depuis qu’il lui avait mis un stop à la fin de sa semaine de réclusion à l’hôtel Hilton, puis qu’elle s’était laissée embarqué dans son exclusion des So Cool, avec une assez forte volonté de le dégager malgré qu’elle cherchait à remettre la faute sur Charlie une fois le mal fait et qu’il l’avait ensuite insulté de salope dans les couloirs du lycée. C’était un cercle vicieux, le jeu de la surenchère, alors qu’intimement et même si elle se refusait à l’admettre : Elle l’aimait toujours. Il avait beau avoir baisé Beth, elle le voyait toujours avec les mêmes yeux. C’était son Cruz, mais être méchante et odieuse était beaucoup moins salissant que de s’abaisser à s’humilier -encore- à lui ré-avouer ses sentiments. Elle ignorait qu’il avait enfin rompu avec Kennedy, elle ne s’emballa pas trop, préférant prendre cette information avec des pincettes, peut-être qu’elle ne faisait que partie des bruits de couloirs habituels de Degrassi.

- Aucune idée, lâcha-t-elle en prenant son verre, consciente de ne pas être utile pour rassasier la curiosité de la jeune ambitieuse. Admettons que ce soit vrai, je trouve ça triste qu’il est attendu sa révocation des So Cool pour se débarrasser de cette tocarde.

Barbie sourit avec compassion à la remarque de Jyl, il était hors de question qu’elle passe pour la salope qui a dégagé Cruz des So Cools. Même si elle était tout autant responsable que Charlie de ce bannissement, le rôle passif qu’elle proclamait dans cette histoire lui convenait mieux. Barbara était plus hypocrites que les pétasses du lycée, elle n’était pas un ange mais n’aimait pas trop s’en vanter. De là à plaindre Cruz, il ne fallait pas abuser non plus. Elle n’était pas niaise et même si elle préférait taire la satisfaction qu’elle avait eu à le voir détrôner, elle ne voulait pas non plus jouer à l’idiote en prétextant une injustice. Tout So Cool qui se respecte -garce ou non- devait admettre que sortir avec une bouseuse comme Chloé était intolérable pour l’image de l’élite degrassienne.

La condition pour que Barbie laisse une chance à Cruz était qu’il rampe à ses pieds et sorte avec elle. Mais ça faisait un peu adolescente désespérée de l’avouer à Jyl, elle se retint de le dire. Ce qui était sûr, c’était que Barbie se sentait un peu grandir au sein de leur groupe. On l’avait toujours associé à Charlie -lien de parenté oblige-, mais maintenant qu’elle s’en désolidarisait depuis que sa cousine sortait avec Ugo, une certaine partie des So Cool se tournait avec plus de facilité vers qu’auprès de la Reine qui était censé les représenter. Une majeur partie, vu les crasses que Charlie avait fait à tout un chacun.

- Je pense qu’il aura fallu cet épisode pour qu’il ouvre les yeux, dit-elle. J’ose espérer que tes informations sont exactes et à ce moment-là, peut-être qu’il méritera sa place au sein du groupe.

Son discours avait l’air un peu procédurier, la hiérarchie sociale était une institution à Degrassi.

- Nous ne sommes pas des connards sans-cœur, mentit Barbara pour enlever un peu de sérieux à sa tirade précédente.