Nouveau pays, nouvelle ville, pour nouvelle vie. C'est en tout cas ce dont Siobhan essayait de se persuader en arrivant ce matin-là au lycée. C'était sa première journée et la boule qu'elle avait à l'estomac ne s'estompait pas. Elle repensa alors à ce que lui disait sa mère à chacune de ses rentrées dans un nouvel établissement, et cela lui redonna un peu de courage. Depuis son installation à Degrassi il y avait de cela 5 jours, Siobhan avait eu très peu l'occasion de repenser à son passé, mais il était présent à chaque instant. Elle serra la discrète croix qu'elle portait autour du cou dans sa main avant de la glisser dans le col de son pull. Puis elle souffla un bon coup et entra dans le lycée, où elle fut immédiatement assaillit par des dizaines de jeunes qui se bousculaient, pressés d'aller en cours. Après avoir passée le portique de sécurité, Siobhan essaya d'engager la conversation avec les passants. "Excusez-moi... Pardon..." Personne ne semblait disposer à lui répondre. En même temps, sa voix ne portait pas vraiment, et sa discrétion légendaire semblait encore à l'oeuvre. Elle avait le sentiment d'être encore plus transparente que d'habitude, et elle dû se faire violence pour retenter l'expérience. Siobhan remarqua une personne qui donnait l'impression d'être perdue dans ses pensées. Elle s'approcha, se disant qu'elle réussirait à obtenir le renseignement qu'elle voulait de quelqu'un qui avait l'air moins occupé que les autres. "Excusez-moi, pourriez-vous m'indiquer la salle 16 s'il vous plaît ?" Siobhan avait pour habitude de vouvoyer tous ceux qu'elle croisait, même s'ils avaient son âge. Surement parce qu'en général, ils étaient aussi ses patrons. Elle leva enfin les yeux vers la personne qu'elle avait accosté, dans l'attente d'une réponse de sa part.

Les yeux de Siobhan n'en finissait pas de remonter pour enfin se poser sur le visage de son interlocuteur. Il faut dire que du haut de son 1m57, beaucoup de personnes - si ce n'était quasiment tout le monde - la dépassait. Et ce qu'elle vit la fit immédiatement rougir et baisser les yeux. C'était un professeur. La première personne à qui elle s'était adressée était un professeur. Et elle avait osé lui demander un renseignement comme s'il n'avait que cela à faire. Bien sûr elle se doutait qu'il lui répondrait de façon aimable car elle sentait qu'elle avait l'étiquette de la petite nouvelle collée sur le front, mais elle avait peur que cela ne lui attire des ennuis dès le premier jour. Genre un blâme pour insolence ou prise de parole devant un professeur sans demander la permission. Siobhan se montait un peu la tête mais elle avait fait profil bas toute sa vie, et se devait de continuer à en faire de même dans cette nouvelle ville. Et accoster un professeur dès le premier jour n'était pas forcément le meilleur moyen de faire profil bas. Elle s'agrippa nerveusement à ses livres et se mit à parler d'une petite voix, sans relever le regard. "Merci M... M. Stuartson c'est très gentil de votre part. Je ne voudrais pas vous dérangez vous devez surement avoir pleins de choses à faire..." Siobhan ne put s'empêcher de rougir une fois de plus, trahissant de nouveau sa nervosité. Premier jour de cours et elle s'était déjà faite remarquée par un professeur. Ce qui n'était pourtant pas dans ses habitudes. Elle espérait juste qu'il ne parlerait pas d'elle en conseil des profs avec ses collègues, car elle aimait bien sa place de fille invisible aux yeux des autres. Elle n'avait connu que ça et ne voyait pas comment faire pour qu'il en soit autrement. Et surtout elle n'était pas sûre de savoir comment gérer l'attention qu'on pourrait lui porter.

Pensant que la matinée ne pouvait être pire niveau rencontre embarrassante, Siobhan déchanta bien vite lorsqu'un adolescent se dirigea vers eux. Le proviseur lui avait donc envoyé un comité d'accueil. Elle ne savait pas si elle devait s'en sentir flattée ou si elle devait y voir une quelconque forme de problème. Ou alors c'était tout simplement la coutume dans ce lycée. Elle remercia le nouveau venu du regard, avant de baisser les yeux en rougissant lorsque leurs regards se croisa. Puis elle se tourna vers le prof de sport. "Merci encore M. Stuartson. Je vous reverrais en cours de sport alors." Juste après avoir dit cela, Siobhan se demanda pourquoi elle l'avait fait. Sérieusement, il était temps qu'elle se taise, elle avait fait trop de bourdes pour au moins une semaine entière. Elle récupéra ses livres que lui tendait son professeur et les cala dans ses bras avant de lui faire un dernier petit sourire, les joues encore rouges de honte, avant de se tourner vers le jeune homme qui les avait accosté. Ensembles, ils se dirigèrent vers la salle de classe où elle avait cours. Ne sachant trop que dire, mais sachant qu'elle devait au moins dire quelque chose, Siobhan jeta un coup d'oeil nerveux vers son nouvel interlocuteur avant de bafouiller d'une voix discrète. "Merci de m'accompagner. C'est... vraiment gentil." C'était nul. En plus il avait été forcé de le faire par le proviseur. Et aux vus des regards qui se posaient sur eux lorsqu'ils déambulaient dans les couloirs, Siobhan avait l'impression que le jeune homme qui l'accompagnait était quelqu'un d'important dans ce lycée. Genre le quaterback vedette de l'équipe de football ou un truc du genre. Elle ne savait plus où se mettre. Sérieusement. Elle qui avait toujours été discrète, en moins de 5 min, elle était déjà propulsée sous les feux des projecteurs. Jamais le chemin à une salle de classe ne lui avait paru si long.

Marcher aux côtés de Cruz était de plus en plus pesant pour Siobhan à mesure que les regards se braquaient encore plus sur eux. Il devait vraiment être l'une des grandes stars de ce lycée, ce n'était pas possible autrement. Elle ne pouvait être celle qui était responsable pour tous ces regards et toutes ces messes basses. Et l'aveu de Cruz la stoppa net. Le proviseur ne l'avait pas envoyé ? Mais pourquoi... Siobhan eut la réponse à sa question bien vite. Et ce qu'il lui révela la fit presque défaillir. Lorsque la main de Cruz se posa sur sa joue, elle eut un mouvement de recul, peu habituée à ce genre de familiarité, et fit tomber ses livres, toujours sous le choc. Les ricanements qui les entourèrent presque aussitôt lui semblèrent familiers et elle se mit à rougir presque immédiatement. Elle se baissa pour ramasser ses livres et tenter de mettre de l'ordre dans ses idées confuses. "Eh bien... Euh... Je ne sais pas trop quoi dire..." Siobhan était décidément bien gauche. En même temps, elle n'avait pas vraiment l'habitude qu'on lui parle avec autant de franchise et qu'un garçon, visiblement très populaire, ait ce genre de comportement à son égard. A dire vrai, elle ne saurait jamais renconnaitre si quelqu'un s'interessait à elle. En général, les autres préféraient se jouer d'elle, et murmurer sur son passage qu'elle était bizarre et trop solitaire pour prétendre être interessante. Et la seule fois où elle avait semblé intéresser un garçon (deux pour être plus précise) ils avaient tenté de la forcer à les satisfaire avant de les renvoyer, sa mère et elle. Bien que cet évènement tragique avait quand même eu des points positifs. Toujours baissée sur ses livres, Siobhan se sentait plus honteuse que jamais. "J'ai pas vraiment l'habitude de ce genre d'attention, désolée..." Il fallait vraiment qu'elle trouve cette salle de classe au plus vite. Et qu'elle s'éloigne à tout prix de Cruz. Ce n'était pas possible qu'elle l'intéresse. Il devait encore se moquer d'elle comme tous les autres. C'était sans doute une plaisanterie. Une sorte de bizutage pour les petites nouvelles naïves et fragiles. Il ne fallait pas qu'elle tombe dans le piège. Sinon, elle était fichue.