Premier jour à Degrassi, Grace parcourait le lycée un peu perdue. Elle n’aimait pas trop être dans cette posture, elle était une femme forte qui aimait avoir le contrôle sur tout. Mais elle ne connaissait pas encore assez bien les lieux pour se sentir en confiance, elle ne les connaissait même pas du tout. Elle parcourait le lycée à la recherche de la salle de son professeur de Math, elle avait une heure de libre mais voulait repérer l’endroit où le prochain cours aurait lieu, histoire de pouvoir continuer à visiter l’établissement sans se soucier de retrouver ses pas. La journée allait être chargée, elle devait assister aux cours comme tous les élèves normaux, mais elle souhaitait aussi faire les démarches pour intégrer le Friendship Club. Elle n’avait pas une minute à perdre pour dorer l’image de Grace à Degrassi, il fallait qu’elle soit la jeune fille parfaite qu’elle avait l’habitude d’être dès son arrivée au Canada. Elle continua longuement sa visite, puis elle entendit le prénom de Diane dans une conversation. Elle avait entendu ce prénom déjà, il était difficile d’oublier un nom de chien comme celui-ci. La Diane en question était censée être fille au pair comme elle, un sourire se dessina sur les lèvres de Grace. Elle allait pouvoir faire sa première connaissance hormis l’ennuyeuse famille Cooper et ce grâce à leur job commun. Elle attendit que la Diane en question ait fini sa conversation, pour s’approcher d’elle. Elle prit son air le plus bienveillant possible, passa ses mains sur son top so girl next door et alla à sa rencontre d’un pas décidé. Sourire parfait n°12, son préféré, celui qui mettait en confiance les gens qui le recevaient.

- Bonjour, dit-elle. Je crois qu’on partage la même passion des enfants, s’émeut Grace.

Menteuse. Elle détestait les enfants, mais l’âme pure qu’elle était n’avait pas le choix et devait à tout prix s’extasier devant les vies innocentes que Dieu offrait à ses créatures, dire qu’Il était si bon de donner le bonheur sous sa plus belle forme : la vie. Tout un tas de chose chiante que Grace connaissait par cœur depuis qu’elle était enfant.

Qu’est-ce que cette pétasse avait à me dévisager et me jauger de la tête aux pieds ? Qu’est-ce qu’une sainte ferait dans un cas semblable à celui-ci ? Elle rougirait. Mes talents d’actrice ne me permettant pas d’aller jusqu’à rosir mes joues sur commandes, je me contentai de baisser fébrilement les yeux quand ma collègue me mesurait. Elle parle avec un accent à couper au couteau, c’est immonde à l’oreille. Je me recommandai de me taire, mon accent australien devait être tout aussi dégueulasse que le sien, mais c’était plus facile de se moquer de celui des autres. Depuis quand j’ai des scrupules, mon personnage me colle à la peau et je vais finir par devenir aussi faible que les niaises que je m’amuse à singer à longueur de journée. Je relevai un peu ma tête, quand je sentis qu’elle avait terminé de me regarder avec insistance. Hochant bêtement mon minois de haut en bas pour répondre positivement à sa question, je mis mes mains derrière mon dos après avoir serré l’une des siennes. Comme une parfaite et douce écolière, je me balançai un peu toujours les mains dans le dos et une expression bienveillante sur le visage.

- Je suis tellement heureuse de rencontrer enfin quelqu’un, c’est mon premier jour, dis-je comme si je croyais vraiment aux doux mots que je lui dégueulais au visage comme une bonne-sœur trop pure.

Je regardai tout autour de moi, donnant l’impression d’être une biche perdue dans un bois enchanté, cherchant son chemin. Si je me voyais, je suis sûre que j’exploserai littéralement de rire. Je fais mine d’enlever une poussière imaginaire sur la veste de mon interlocutrice. Les livres de manipulation en parlent comme le b.a.-ba , le toucher c’est hyper important pour faire gober n’importe quoi aux gens.

- Je m’appelle Grace, me présentai-je en m’efforçant d’être aussi gracieuse que mon prénom. Tu es ici depuis longtemps ?

Spoiler:

Un sourire malicieux se dessina sur le visage angélique de Grace, comment pouvait-on fourcher de la sorte. Passer du mot enfant, au mot père était un lapsus peu commun, à moins qu’il sorte de la bouche d’une salope. Elle décida de ne pas trop s’attarder sur ce détail pour le moment. Quand Diane continua en lui demandant dans quelle famille de tarés était-elle tombée, Grace sortit sa croix en or de son chemisier faisant mine de jouer avec. Elle se devait de montrer qu’elle était une fille respectable et qu’on ne pouvait pas se permettre ce genre de familiarité avec elle. Mais au fond elle, elle se demandait ce qu’une famille et une mère aussi parfaite que les Preston pouvaient cacher comme vilains secrets. Elle ne connaissait pas encore les fils, mais pour le moment Edgar, Beth et -dieu merci- Prudence paraissaient biens sous tout rapport. Leur futur mariage était attendu comme celui de Kate et William l’avait été, Grace avait l’impression. Que ce soit par le couple ou la populace en général. Beth était une femme parfaite, un modèle de réussite et son mari aussi. Ils étaient inspirants, beaucoup plus que l’accent de Diane aux yeux de Grace. Elle grimaça légèrement.

- Je suis chez les Preston, je n’ai pas à me plaindre, ils sont parfaits, dit-elle dans un sourire hypocrite, toujours en train de tripoter sa croix.

Elle fit mine d’être timide à l’invitation de Diane, elle lâcha un petit sourire innocent et passa machinalement ses mains sur son chemisier. Le dimanche soir, elle comptait bien aller goûter du canadien en boite de nuit. Sous ses airs de sainte nitouche, Grace enchainait les VSD en cachette et les mecs. Mais il lui fallait une copine. Plusieurs, même. Tant qu’elle n’avait pas intégré le Friendship Club.

- Super, on emmène les enfants ? Demanda-t-elle en se doutant que la réponse était un non. Mais si elle pouvait avoir l’air d’une bosseuse enragée et en plus d’une conne, elle continuerait son jeu d’actrice à la perfection.

Grace hocha la tête, confirmant que personne n’était parfait. Enfin, personne sauf elle, bien entendu. Grace était parfaite, la perfection incarnée, du moins elle se plaisait à s’imaginer comme ça. Elle était ambitieuse et volontaire, enfin volontaire pas vraiment mais elle faisait semblant, donc ça revenait à peu près au même. Son regard se posa sur sa croix que Diane avait entre les mains, sûrement parce qu’elle avait été envoûtée par le Christ qui se baladait frénétiquement entre les doigts de Grace. Elle ne dit rien, ce symbole n’avait pas énormément d’importance à ses yeux, elle croyait en Dieu mais n’était pas aussi dévote qu’elle laissait imaginer aux autres. Bien sûr, elle avait vu juste, elle ne devrait pas venir avec Prudence à la réunion des filles au pair, le dimanche soir. Tant mieux, elle verrait cette petite tous les jours, sera obligé de la torcher et de lui essuyer sa bave après lui avoir donné des petits pots dégueulasses, que Dieu soit loué de lui accorder un moment de tranquillité. Diane lui proposait de passer chez elle ce soir, enfin dans la maison de la famille chez qui elle vivait.

- Je viendrais volontiers, si ça ne dérange pas madame Preston, dit-elle.

Grace jeta un œil sur son emploi du temps, son premier cours se déroulait dans la salle 503. Un cours de biologie, quel ennui. Observant un peu partout les murs des couloirs, Grace cherchait les indications des numéros de salles. Elle avait horreur de ça, demander l’aide de quelqu’un d’autre, elle était toujours persuadé qu’elle était assez mieux que tout le monde pour ne pas avoir besoin qu’on lui rende service. Elle se suffisait à elle-même, elle était parfaite. Pas tant que ça, ça lui écorcherait la bouche mais…

- Tu peux m’indiquer où se trouve la salle 503, demanda-t-elle à Diane à contrecœur, avant de lui donner aussitôt son numéro qu’elle inscrivit sur un bout de papier.